Dans une lettre ouverte adressée au Chef de l’État camerounais, l’Association pour la Défense des Droits des Étudiants du Cameroun (ADDEC) tire la sonnette d’alarme sur la situation sociopolitique et éducative du pays, tout en l’invitant à ne pas briguer un nouveau mandat.
À moins de trois mois de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, l’ADDEC (l’Association pour la Défense des Droits des Étudiants du Cameroun) monte au créneau. L’organisation estudiantine, connue pour son franc-parler, s’adresse directement au président de la République, Paul Biya, dans une lettre ouverte au ton grave, dans laquelle elle dresse un tableau accablant de la situation nationale. Au fil des paragraphes, les griefs se multiplient. L’Université camerounaise, selon l’ADDEC, est en lambeaux : grèves récurrentes des enseignants, démission massive du personnel académique, fuite des cerveaux, amphis surpeuplés, laboratoires vétustes, examens discrédités par des fuites.
À cela s’ajoute une précarité étudiante décrite comme « inhumaine », marquée par l’insécurité, l’insalubrité et le manque criant de logements décents. Mais les critiques vont bien au-delà du seul secteur éducatif. L’ADDEC évoque une gouvernance marquée par le clientélisme, l’immobilisme, l’inflation, l’inertie administrative et la déliquescence des institutions républicaines. Le ton se fait plus alarmiste lorsqu’il est question des libertés publiques : « La moindre des protestations est sanctionnée, les arrestations arbitraires sont monnaie courante, la justice fonctionne à double vitesse », déplore l’organisation.
Face à ce qu’elle qualifie de « gouvernance infertile », l’ADDEC appelle Paul Biya à ne pas se représenter en 2025. Âgé de 92 ans, le chef de l’État serait, selon l’association, dans l’incapacité physique et cognitive d’assumer les charges de la fonction présidentielle. « À plus de quatre-vingt-dix (90) ans, on est assez vieux pour assumer la fonction d’un chef de village. Il n’est donc pas possible d’assumer à cet âge une fonction présidentielle, surtout dans un pays qui aspire au développement comme le Cameroun », affirme le document.
Plus encore, l’ADDEC estime que le président ne remplit plus ses prérogatives constitutionnelles : absence de conseils des ministres, inaction du Conseil supérieur de la magistrature, paralysie des institutions. « Vous avez délégué votre signature, votre pouvoir, et vous vous êtes réduit au simple instructeur à l’abandon des attributions de la fonction de Président de la République », assène le texte. La lettre dénonce également l’appropriation de l’appareil d’État par une élite politique dévouée non à la nation, mais à la préservation de ses privilèges. Elle dépeint un système dans lequel « les enfants des pauvres doivent attendre derrière leurs aînés qui attendent depuis dix, vingt, voire trente ans », pendant que « les barons du régime » trustent tous les postes influents.
Dans le domaine universitaire, l’organisation pointe du doigt la panne de réformes et la sclérose administrative. Les universités sans campus, les infrastructures vétustes, les formations déconnectées du marché de l’emploi et le marasme du système Licence-Master-Doctorat (LMD) sont cités comme des symptômes d’un échec structurel. Tout en réaffirmant son attachement à la paix et à l’unité du Cameroun, l’ADDEC plaide pour une transition générationnelle au sein du parti au pouvoir. Elle cite notamment Léon Théiler Onana, présenté comme un possible successeur au sein du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), et appelle Paul Biya à se muer en « bon leader » en facilitant ce renouvellement. En définitive, la lettre ouverte de l’ADDEC n’est pas qu’un cri de colère, elle se veut aussi un appel à la raison.
Sans haine ni violence, mais avec une franchise mordante, l’association demande au président sortant de faire le choix de l’histoire : « Le Cameroun et les Camerounais, essentiellement jeunes, méritent mieux comme chef de l’État », conclut le texte. Reste à savoir si cet appel sera entendu dans les hautes sphères du pouvoir. Mais dans une société camerounaise où les voix critiques se heurtent souvent à un mur de silence, ce genre de tribune marque une rupture : celle d’une jeunesse qui refuse de se résigner.