Depuis quelques années, le vent nouveau des télé-réalités souffle sur les écrans africains. La dernière en date, « Nouvelle Reine », attise les curiosités et passionne les foules.
Cette compétition, qui promet de célébrer la beauté, l’originalité et le talent de la femme africaine, fait vibrer les jeunes publics dans les salons, les snacks, sur les réseaux sociaux. Pendant cinq semaines, 21 femmes venues de 8 pays francophones se sont affrontées sous l’œil des caméras. Et le Cameroun, à l’approche de la finale du 9 août, est encore en lice. Mais derrière l’engouement, une question s’impose : la télé-réalité est-elle un modèle à suivre ou un mirage dangereux ?
À première vue, ces programmes offrent une plateforme à des jeunes souvent anonymes pour se faire connaître, pour rêver, pour briller. Certains y voient une opportunité de montrer leur personnalité, de défendre une cause, de décrocher des contrats publicitaires ou des partenariats. C’est vrai. La télé-réalité est un accélérateur de notoriété. Mais à quel prix ? Dans la plupart des émissions, l’accent est mis sur le spectacle, le clash, les apparences. Les conflits sont scénarisés, les émotions exagérées, la vie quotidienne artificielle.
Les téléspectateurs jeunes, qui s’identifient à ces figures montantes, finissent par croire que la réussite passe uniquement par l’exposition de soi, la beauté physique et la provocation. L’effort, la compétence, le mérite deviennent secondaires.
Le problème majeur n’est pas la télé-réalité en elle-même, mais l’idéal qu’elle impose. Elle présente une vie luxueuse, rapide, sans effort visible. Beaucoup de jeunes finissent par se comparer à ces visages maquillés par la postproduction, ces corps sculptés, ces chambres d’hôtel transformées en “quotidien”. A la fin, le résultat sur les téléspectateurs peut être frustration, mal-être, perte de repères.
Sur les réseaux sociaux, les candidats de télé-réalité deviennent influenceurs, vantant des produits, des marques, des destinations. Une nouvelle élite émerge, pas fondée sur l’intellect ou l’innovation, mais sur la visibilité numérique. Cette glorification de l’apparence peut détourner la jeunesse d’autres voies telles l’artisanat, l’agriculture, la recherche, la technologie, pourtant cruciales pour le développement de l’Afrique.
Une influence à double tranchant
Cela dit, il serait réducteur de condamner en bloc les télé-réalités. Certaines émissions peuvent être porteuses de messages positifs, de modèles inspirants, d’espaces d’expression pour des jeunes longtemps invisibles. « Nouvelle Reine », malgré ses travers, met au moins en avant des femmes africaines dans leur diversité. Mais encore faut-il que cette vitrine ne devienne pas un miroir déformant. La solution ne réside pas dans la censure, mais dans l’accompagnement. Les jeunes doivent apprendre à décrypter les codes de ces formats, à distinguer le divertissement de la réalité.
Il faut aussi encourager des contenus locaux, créatifs, ancrés dans les réalités africaines. Pourquoi ne pas penser à des émissions de télé-réalité sur des jeunes entrepreneurs, des inventeurs, des leaders communautaires ? La jeunesse africaine a besoin de se voir autrement. Et face à la montée en puissance de ces formats, l’école reste souvent muette. Peu de dispositifs existent pour parler de médias, de culture numérique, de construction de l’image. Les familles aussi sont désemparées.
Les jeunes consomment sans filtre, s’identifient, imitent. Il est temps d’introduire une véritable éducation aux médias dans les programmes scolaires. Il faut donner aux jeunes les outils pour questionner, analyser, critiquer ce qu’ils regardent. Sans cela, la télé-réalité continuera de façonner leurs rêves et leurs comportements, parfois au détriment de leur avenir. Entre modèle et mirage, il y a une frontière mince que seule l’éducation, le discernement et la diversité des contenus médiatiques permettront de tracer. Car un jeune qui ne rêve qu’en lumière risque un jour de se perdre dans l’ombre.