Juriste de formation, militante pour les droits humains et aujourd’hui Représentante pays de Search For Common Ground, Tatiana Lobe revient sur son parcours et sa vision de la consolidation de la paix au Cameroun.
Qu’est-ce qui vous a orientée vers la défense des femmes et des droits humains ?
Tout est parti d’une expérience marquante en 2012, lors d’un premier voyage hors du Cameroun pour l’Éthiopie. J’ai croisé une femme avec un nourrisson dans une grande précarité. Cette rencontre m’a bouleversée car malheureusement, je n’avais aucun moyen pour lui venir en aide. A mon retour au Cameroun, le souvenir de cette femme et ce nourrisson m’a poussée à créer l’association Au cœur du développement, qui lutte contre les violences sexuelles sur mineures et accompagne juridiquement les victimes. Depuis ce jour, je me bats pour que les femmes ne soient pas réduites au silence.
Quels souvenirs gardez-vous de vos premières expériences d’assistance juridique ?
Beaucoup d’émotions. En cabinet d’avocat chez Maitre Eugène Balemaken, j’ai pu renforcer ma rédaction juridique qui a servi à l’Acafej, l’association camerounaise des femmes juristes, où j’ai été appelée à servir les femmes victimes de violence. J’écoutais au long des jours, des récits de femmes brisées. Au début, je pleurais avec elles. Mais ces histoires m’ont donné la force de poursuivre et d’écrire des projets qui répondent à leurs besoins. C’est pour ces femmes que je continue à me battre au quotidien.
Vous avez aussi travaillé à l’OIM et en partenariat avec Interpol. Qu’en retenez-vous ?
Ces années m’ont permis de comprendre la complexité des phénomènes comme la traite des êtres humains, le trafic des migrants ; phénomène où malheureusement les femmes et les enfants sont en partie les victimes. J’ai coordonné des projets de protection, mais aussi des initiatives sur la diaspora et la sécurité sociale des migrants. Cela m’a appris la rigueur, la diplomatie et l’importance du travail en réseau.
Quelles sont vos missions actuelles au sein de Search For Common Ground ?
Depuis août 2023, j’assure la représentation diplomatique de l’organisation au Cameroun. Je coordonne les projets de l’organisation, développe de nouveaux partenariats et appuie nos partenaires locaux. Nous travaillons sur les thématiques de jeunesse, paix et sécurité, sur les droits des femmes. Un de nos projets actuel co- financé par l’Union Européenne, porte sur le suivi des recommandations issues de l’Examen périodique universel notamment celles en lien avec la promotion et protection des droits de femmes. Mais au-delà des programmes, il s’agit surtout de créer des espaces de dialogue entre divers acteurs intervenant dans la construction d’une société de paix. La paix se construit au quotidien, dans les villages, les quartiers, les associations. C’est un travail patient, souvent invisible, mais essentiel.
Quels défis rencontrez-vous sur le terrain ?
Le premier défi est le manque de financements face à l’ampleur des besoins. Ensuite, certaines zones du Cameroun restent difficiles d’accès à cause de l’insécurité. Enfin, nos partenaires locaux sont parfois exposés à des risques personnels importants. La sécurité des acteurs de paix est un sujet trop peu discuté, mais central.
Quelle est votre vision de la consolidation de la paix au Cameroun ?
Je suis optimiste. Les communautés veulent la paix, même dans les régions les plus touchées. Le récent Plan d’action national jeunesse, paix et sécurité est une avancée notable. Mais il faudra renforcer la synergie entre acteurs, éviter la duplication des efforts et surtout impliquer davantage les jeunes. Car si on ne leur donne pas de perspectives, ils deviennent vulnérables aux discours de haine ou aux groupes armés.
Vous insistez beaucoup sur la jeunesse. Pourquoi ?
Parce que la solution est en elle. Quand un jeune sort de l’université sans emploi ni accompagnement, il ressent frustration et marginalisation. Cela peut l’exposer à plusieurs fléaux, le mener à la consommation des stupéfiants, à la délinquance et l’incivisme, à l’extrémisme même. À l’inverse, quand on investit dans leur employabilité, leur formation et leur créativité, on construit une société plus stable. Je crois profondément que donner aux jeunes des opportunités concrètes, c’est investir dans la paix.
Et les femmes dans tout cela ?
Leur rôle est incontournable. Une société qui met ses femmes à l’écart se prive de la moitié de son potentiel. J’ai vu des femmes porter des processus de médiation, diriger des initiatives communautaires, reconstruire des vies après la guerre. Il faut leur donner davantage de place dans les décisions. C’est une question d’équité, mais aussi d’efficacité.
En tant que femme leader, quels obstacles avez-vous rencontrés ?
Vous savez, être une femme instruite, affirmée, dans un milieu encore très masculin n’est pas toujours simple. Cela m’a parfois freiné, mais j’ai appris à transformer les obstacles en opportunités. La persévérance, l’endurance et la passion m’ont guidée. D’ailleurs, les personnes qui m’ont le plus soutenu ne sont pas celles qui étaient le plus proche de moi. J’ai eu la chance de croiser des personnes, qui ont cru en moi. Et je leur dire merci infiniment.
Comment trouvez-vous l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle ?
Ce n’est pas toujours évident (rires). Mais je me ressource dans ma foi, ma famille, et aussi dans des passions simples : je chante dans une chorale depuis l’enfance et je lis beaucoup. La lecture nourrit mon esprit, la musique apaise mon cœur.
Un mot de conclusion pour tout jeune camerounais qui voudrait suivre votre parcours ?
Jeunes femmes comme hommes, ne perdez pas espoir. Cultivez la curiosité intellectuelle, adaptez-vous aux réalités changeantes et persévérez. Les portes ne s’ouvrent pas toujours facilement, et ce n’est pas après un ou deux dépôts de CV qu’il faut s’apitoyer sur son sort. La passion et l’endurance ouvrent des portes, même dans les contextes les plus difficiles.