Mangas, Cosplay, festivals, la culture japonaise séduit de plus en plus de jeunes qui ne se contentent pas d’observer, mais de créer à leur tour une « mangamania », made in Cameroon.
Ils s’appellent Naruto, Luffy ou Levy Ackerman, et ils envahissent les rues de Yaoundé à chaque été. À travers des t-shirts à l’effigie de héros japonais, des perruques tape-à-l’œil et des sabres en mousse glissés dans le dos. Le K-mer Otaku Festival, tenu les 2 et 3 août 2025 en est la preuve : la culture japonaise s’ancre dans l’imaginaire des quelques milliers de camerounais présents au festival cette année. « Pour la troisième édition, nous avons prévu 3000 visiteurs. Finalement, près de 6000 passionnés ont répondu présent, soit le double des prévisions », explique Ngondji Marcel, promoteur de l’événement. À première vue on pourrait croire à une simple tendance passagère venue d’ailleurs.
Mais derrière les bandeaux de konoha et les chorégraphies dignes de Oshi no ko (un seinen qui explore les coulisses de l’industrie musicale), se dessine bien plus qu’un simple engouement ; « Au Cameroun, un Otaku est avant tout un passionné de la pop culture japonaise, qu’il s’agisse de Cosplay, de jeux vidéo ou de musique. L’otakutisme est une communauté inclusive où chacun partage ses centres d’intérêt et contribue à dynamiser un secteur culturel en plein essor », continue Marcel.
Au fil des années, les mangas et les animés ont cessé d’être de simples divertissements pour n’occuper que les écrans. Grâce à internet, à TikTok, aux plateformes et groupes WhatsApp dédiés à la « otaku community », ils se sont lentement glissés dans le quotidien d’une génération qui a grandi avec des héros, et leurs histoires : « Je regardais Naruto quand j’avais 10 ans, maintenant je collectionne les figurines et je crée des costumes pour des festivals comme celui-ci », confie Gaëlle, 22 ans, cosplayeuse amateur venue déguisée en Nezuko du célèbre Demon Slayer. Comme elle, ils sont de plus en plus nombreux à s’identifier aux personnages japonais, à en adopter les valeurs. La persévérance de Naruto, l’esprit de camaraderie de Luffy, le combat intérieur d’Eren : « Même si le personnage d’Eren Jaeger est fictif, la manière dont il évolue dans l’animé pousse à me battre pour mes convictions, même quand elles sont incomprises», confie-t-elle.
De la passion à la création
Mais la culture japonaise ne s’est pas limitée à la représentation identitaire. Elle est devenue une autre forme d’art. À Yaoundé, de jeunes illustrateurs, scénaristes et créateurs de contenus réinventent les codes du manga à l’africaine. Djahou comics, 23 ans, en est un exemple. Dans un atelier improvisé dans son cybercafé à Etoudi, il esquisse les planches de « Origines », une bande dessinée numérique publiée sur la plateforme Plumics, inspirée à la fois du folklore béninois et du style shōnen japonais, Djahou imagine : « un futur proche où le Bénin fait partie d’une coalition africaine ultra technologique » Au-delà du dessin, le cosplay (le fait de se costumer comme un personnage fictif) est devenu l’activité préféré de Steve, alias Itachi du 237.
Pour lui, le simple fait de se déguiser est une échappatoire, mais aussi une manière de se réinventer dans une société parfois rigide sur les normes de genre ou de comportement : « Avant, on me prenait pour un fou. Ma mère avait même organisé une réunion de famille parce qu’on lui avait dit dans ses groupes de prières que j’étais possédé par les esprits des animés. », confie-t-il. Aujourd’hui, il est membre actif du collectif K-mer Otaku Festival, et incarne avec fierté ses personnages favoris, comme Ichigo de Bleach. Pourtant, loin d’un rejet, certains s’interrogent : faut-il craindre une perte de repères culturels ? Pour le sociologue Cedric Kengmo, observateur des cultures anciennes et contemporaines, la réponse appelle à la vigilance.
« Ce type de passion, aussi populaire soit-elle, peut parfois entraîner un désintérêt pour les pratiques culturelles locales : la langue, les habitudes vestimentaires, alimentaires… Or, la culture, c’est aussi ce qui structure un ancrage. Il ne s’agit pas d’opposer, mais de rééquilibrer ».