Roman majeur de la littérature africaine francophone, Une si longue lettrede Mariama Bâ propose une réflexion sur la condition féminine, les rapports sociaux et les contradictions d’une société postcoloniale en mutation.
Publié pour la première aux Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal en 1979, Une si longue lettres’ouvre sur un deuil. Ramatoulaye, enseignante sénégalaise, écrit à son amie Aïssatou qui vit aux Etats Unis pour lui annoncer la mort de son mari, Modou Fall. Alors qu’elle observe les quarante jours de veuvage prescrits par la tradition musulmane, elle adresse une longue lettre à sa meilleure amie Aïssatou, qui vit en France.
Ce monologue « épistolaire » devient le moyen par lequel elle retrace les événements de sa vie conjugale, familiale et sociale. Ramatoulaye revient sur les débuts de son histoire avec Modou. Leur amour, leur mariage, puis leur vie de couple marquée par la complicité, la naissance de douze enfants, mais aussi par l’inattendue trahison de son mari, qui, après vingt-cinq ans de vie commune, épouse en secret une jeune fille de dix-sept ans, Binetou, l’amie de leur propre fille. Ramatoulaye découvre cette union sans aucun avertissement.
Elle refuse le divorce malgré la pression, préférant rester dans son foyer pour préserver une forme de dignité et continuer à assumer son rôle de mère et d’épouse. À travers cette lettre, elle évoque aussi le parcours d’Aïssatou, qui a refusé le même type de compromis. Quand son mari, Mawdo Bâ, a cédé à la pression de sa mère pour prendre une seconde épouse, Aïssatou a quitté le domicile conjugal, s’est installée avec ses enfants et a poursuivi ses études en France, devenant interprète à l’ambassade. Les deux amies incarnent deux postures face à l’oppression patriarcale : l’une dans la soumission, l’autre dans la liberté et l’autonomie.
Le roman déroule aussi des portraits de femmes de générations différentes : la coépouse Nabou, la jeune Binetou contrainte par sa mère à épouser un homme riche, la cousine farmaniste Aïda, la fille Daba militante, la servante Jacqueline confrontée à la dépression, la sœur aînée Yaye Fatou qui reste dans les cadres imposés son père.
Chaque figure féminine dans ce roman apporte un éclairage sur les conditions sociales, familiales et psychologiques des femmes dans une société en mutation. La narration permet d’embrasser plusieurs questions centrales : la polygamie et ses conséquences sur les femmes, les contradictions entre les prescriptions religieuses, les attentes traditionnelles et les aspirations individuelles. Le roman interroge aussi la transmission, l’éducation, l’amitié, la maternité, le rôle des femmes dans l’espace public, et la difficile articulation entre modernité et coutume traditionnelles.
Ramatoulaye, à la fin de son long récit, fait le choix de rester fidèle à ses principes. Lorsqu’un vieil ami, Daouda Dieng, veuf et ancien prétendant, lui propose le mariage, elle refuse poliment. Elle réaffirme sa volonté d’avancer seule, sans renier ses engagements religieux ni ses responsabilités de mère.