À l’ère du tout-visible, les jeunes se construisent sous le poids constant de la comparaison. Entre désir d’exister et peur de ne pas être « assez », l’équilibre devient fragile.
Scène familière : un jeune fait défiler son fil d’actualité. Une story montre un ami qui décroche un nouveau poste, un autre qui se fiance, une camarade en vacances à Zanzibar. Lui reste là, téléphone en main, avec cette petite voix qui murmure : « Et moi, je fais quoi de ma vie ? » Audrey, 24 ans, connaît bien cette sensation « Je me compare sans arrêt. Même quand tout va bien, il suffit que je voie quelqu’un de mon âge célébrer une réussite pour que je me sente à la traîne », confie-t-elle. Ce malaise, beaucoup le partagent sans vraiment l’avouer. Les réseaux sociaux ont transformé les vies en vitrines : il faut montrer qu’on avance, qu’on réussit, qu’on est heureux. Et celui qui ne poste pas semble presque invisible. Yvande, 27 ans, en parle avec une lucidité désarmante : « C’est comme si tout le monde voulait prouver quelque chose. Mais à force de vouloir briller, on finit par s’épuiser. » Avant, la comparaison se limitait à un cercle restreint : le cousin premier de la classe, la voisine qui réussissait un concours. Aujourd’hui, elle est mondiale.
Chacun se mesure à des inconnus de l’autre bout du monde, aux parcours souvent embellis par les filtres et les algorithmes. Résultat : une pression diffuse, constante, mais bien réelle. Même les plus confiants finissent par douter. Le paradoxe se fait ressentir : dans les discussions, tout le monde parle d’authenticité, de santé mentale, d’acceptation de soi. Le tout en filtrant chaque image. Fernande, 26 ans, essaie de décrire ce besoin de toujours paraître sous son meilleur jour : « On veut être vrai, mais pas trop. Il faut que le vrai reste joli. Même la sincérité est devenue esthétique. » Derrière les jolis posts, beaucoup vivent un épuisement silencieux. Celui de devoir être ou du moins paraître tout le temps : performant, heureux, accompli. La peur de décevoir, de ne pas suivre le rythme, d’être « en retard » s’infiltre dans les esprits.
Gims, dans son titre « Je n’ai rien promis », posait déjà la question : « Et si on vivait, au lieu d’exister ? » Peut-être que la clé se trouve là : réapprendre à se contenter, à ralentir, à comprendre que chaque parcours a son propre tempo. Guylaine, 28 ans, y a beaucoup réfléchi : « Parfois, je me plains, je me sens en retard par rapport aux autres. Mais ensuite, je réalise que j’ai accompli des choses que je rêvais d’avoir il y a cinq ans, et que d’autres n’ont pas encore vécues. Je crois qu’il faut apprendre à être reconnaissant pour ce qu’on a, et arrêter de se comparer. La vie n’est pas une course, surtout qu’on ne sait pas toujours ce que les autres font pour avoir ce qu’on envie tant. » À la fin, peut-être que la vérité est simple : il n’est pas nécessaire d’être comparable. Il suffit d’être vivant. Parce qu’au fond, la seule personne à qui il vaille la peine de se mesurer, c’est celle qu’on était hier.