À chaque rentrée, les élèves débarquent avec des gamelles soigneusement préparées par leurs parents. Mais ces dernières années, dans les cours de récréation, les boîtes à repas sont suréquipées, parfois plus dignes d’un pique-nique gastronomique que d’un simple déjeuner d’enfant.
7h45, ce lundi matin, à l’entrée d’une école maternelle de Yaoundé. Devant le portail, les voitures déposent les enfants un à un. Dans leurs mains minuscules : cartables colorés et gamelles soigneusement emballées. Certaines sont rangées dans des sacs isothermes flambant neufs, d’autres décorées de stickers, rubans ou petits mots écrits à la main. « Voilà sa gamelle, attention elle doit être posée à plat », souffle une mère à une enseignante. Avant de s’éclipser, elle glisse une note collée sur la boîte : « Merci de ne pas y toucher. Elle sait manger seule. »
Dans la salle de classe, la maîtresse aligne les gamelles sur une étagère. Elle en reconnaît certaines. « Chaque année, les parents se surpassent et surtout le premier mois », sourit-elle. Elle ouvre discrètement une boîte : sandwichs découpés, compartiment de fruits frais, biscuits faits maison. Une autre renferme du ndolé avec du riz blanc. Pour certains enfants, l’heure du déjeuner devient un moment d’exhibition culinaire, et parfois, de malaise. « Une petite fille a fondu en larmes hier. Elle n’avait que du pain haricot, pendant que sa voisine avait tout un buffet », confie Lynda Okomo, institutrice.
Dans des groupes WhatsApp, les images circulent dès le dimanche soir. « Voilà ce que je prépare pour demain », écrit une maman en postant une photo de brochettes de fruits. Les autres réagissent par des émojis, des compliments ou des silences. Pour certaines, la préparation de la gamelle est devenue un rituel affectif. « C’est ma façon de lui montrer que je suis là, même quand je travaille toute la journée », dit Madeleine Essono, médecin habitant le quartier Biyem-Assi.
Pour d’autres, c’est une source d’angoisse : « Je n’ai ni le temps ni les moyens. Mon fils va à l’école avec des biscuits et de l’eau. J’ai honte parfois. » Phénomène nouveau : certains parents collent des instructions directement sur les gamelles. « Ne touchez-pas » ; « Ne pas donner à un autre enfant ». Une manière de garder le contrôle, mais qui met parfois les enseignants dans une position délicate. « Quand un enfant pleure parce qu’il n’arrive pas à ouvrir sa boîte, je fais quoi ? Je respecte le mot ou je l’aide ? » s’interroge une auxiliaire de classe.
Dans les écoles publiques, le contraste est plus net. « Ici, certains enfants viennent avec une boîte vide ou presque », glisse la maîtresse. Des ONG et des éducateurs appellent à l’introduction de repas scolaires harmonisés, voire de cantines accessibles à tous. Car derrière ces gamelles trop pleines ou trop vides, se cachent des inégalités précoces, qui se jouent dès la maternelle. Et si donner à manger à son enfant est un geste d’amour, il ne devrait pas devenir un terrain de compétition.