Lorsque les lumières se sont rallumées dans la salle, un silence lourd s’est installé avant que n’éclate une pluie d’applaudissements. Le film de Zaven Najjar venait de laisser une empreinte indélébile dans les mémoires : « Allah n’est pas obligé », adaptation du roman culte d’Ahmadou Kourouma, a marqué de son sceau la cérémonie de clôture des Écrans Noirs 2025.
On entre dans l’histoire par la voix rocailleuse de Birahima, 10 ans, franc-parler désarmant, dictionnaire de poche dans la main et kalachnikov sur l’épaule. Le film nous plonge d’emblée dans son univers, à la fois naïf et brutal. Les premières scènes, presque enfantines par leur graphisme coloré, contrastent avec la brutalité des dialogues : « je vous dis la vérité, parce que j’ai mon dictionnaire et je comprends les gros mots », lance-t-il.
À mesure qu’il traverse les frontières de l’Afrique de l’Ouest, Birahima croise d’autres enfants comme lui, enrôlés de force dans l’armée, au milieu des chefs de guerre grotesques et terrifiants, des civils éperdus cherchant à survivre. Chaque rencontre est racontée avec une ironie crue qui fait sourire un instant avant de glacer le sang.
Zaven Najjar a fait le choix de l’animation adulte, et ce pari donne toute sa force au film. Les couleurs éclatantes des paysages africains se ternissent peu à peu, englouties par des aplats de rouge et de noir quand la guerre surgit à l’écran. Dans une scène, les silhouettes des enfants soldats avancent comme des ombres, le regard vide, tandis que Birahima continue à narrer avec son humour maladroit : un contraste insoutenable qui accentue l’horreur.
La mise en scène multiplie les ruptures visuelles : des flashs de dictionnaire projetés à l’écran quand le narrateur s’arrête pour expliquer un « gros mot », des séquences surréalistes où l’imaginaire de l’enfant déforme la réalité, et des moments presque documentaires, proches du témoignage.
Un film coup de poing, drôle malgré lui
L’un des plus grands mérites du film est de rester fidèle au ton de Kourouma : mêler tragédie et rire. Dans la salle, certains spectateurs laissaient échapper un rire nerveux devant les tirades absurdes de Birahima, avant de se raidir devant la scène suivante. Cette oscillation constante entre larmes et sourire fait toute la singularité du récit.
Comme film de clôture, « Allah n’est pas obligé » n’a rien d’un choix anodin. Il vient rappeler que le cinéma africain (qu’il soit tourné sur le continent ou en coproduction) n’a pas peur d’affronter les zones sombres de son histoire. Najjar n’édulcore rien, mais il ne tombe pas non plus dans la gratuité.
Il fait de l’animation un outil de mémoire, un miroir tendu à l’Afrique et au monde. En sortant de la salle, on emporte avec soi la voix de Birahima, témoin d’une génération sacrifiée. Une voix qui, à travers le rire et la douleur, rappelle que le cinéma peut tout : raconter l’indicible, transformer la souffrance en art, et offrir à un festival une clôture bouleversante et nécessaire.