En l’absence des parents, de jeunes adultes deviennent malgré eux chefs de famille, veillant à la scolarité et l’éducation de leurs cadets.
Il a 21 ans et vit dans une modeste chambre à Yaoundé avec ses deux petits frères et une sœur de 13 ans. À cet âge, Rodrigue aurait pu poursuivre ses études ou chercher à bâtir sa propre vie. Mais depuis la disparition brutale de ses parents dans un accident de la route, il est devenu le pilier de sa fratrie.
« J’ai dû arrêter l’école pour travailler. Je fais des petits boulots en journée, et je vends des beignets le soir ». La montée de ces responsabilités précoces s’explique par plusieurs facteurs : décès des parents, divorces, migration parentale, ou encore abandon. Certains jeunes se retrouvent seuls avec leurs frères et sœurs à charge, parfois sans aucun soutien familial ou institutionnel.
À Douala, Sandrine, 26 ans, élève seule ses deux sœurs depuis que leur mère est partie tenter sa chance à l’étranger. « L’argent qu’elle devait envoyer ne vient plus. Alors j’ai pris les choses en main. Je fais de la couture à domicile et je donne des cours de soutien. »
Entre sacrifices et débrouillardise
Ce rôle de parent de substitution contraint ces aînés à de nombreux sacrifices. Finis les rêves personnels ou les études supérieures. Place au travail informel, aux emplois précaires, à l’apprentissage sur le tas. Ils jonglent entre les frais de scolarité, les repas, le logement et l’éducation des cadets. Certains, comme Joël, 23, s’en sortent grâce à un solide réseau de solidarité.
« J’ai des amis qui m’aident parfois. Et surtout, je reste motivé en me disant que mes petits frères ne doivent pas vivre les mêmes galères que moi ». Bien qu’admirables, ces responsabilités ont un coût émotionnel. Pression, fatigue mentale, solitude. Les « aînés-chefs de famille » manquent souvent de soutien psychologique et social. Pourtant, ils incarnent une forme de résilience exceptionnelle, assurant le relais parental dans des conditions souvent difficiles.
Si la société leur reconnaît un certain mérite, peu de dispositifs existent pour accompagner ces jeunes dans leur rôle. Associations, services sociaux ou ONG restent rares à leur offrir un cadre de soutien concret. En attendant, ces aînés précoces continuent d’assumer, souvent en silence. Ils deviennent pères, mères, tuteurs… bien avant l’heure, portés par un seul moteur : l’amour et le devoir envers leurs cadets.