Entre stigmatisation sociale, rupture familiale et désintérêt croissant des jeunes, les personnes âgées sont de plus en plus marginalisées. Décryptage du sociologue François Feuzeu.
Pourquoi certaines communautés associent-elles automatiquement vieillesse et sorcellerie ?
Cette association est le fruit d’un héritage culturel mêlé à une mauvaise compréhension de la vieillesse. Dans certaines traditions, les personnes âgées sont vues comme détenant des pouvoirs mystiques, ce qui peut susciter à la fois respect et crainte. Mais dans un contexte de pauvreté, de conflits d’héritage ou d’ignorance, cette perception peut vite se transformer en rejet, voire en accusation injustifiée.
Vous voulez dire que ces accusations peuvent avoir une fonction sociale ?
Tout à fait. Accuser une personne âgée de sorcellerie est parfois un prétexte pour l’exclure ou se débarrasser d’elle, surtout si elle est perçue comme une charge ou un obstacle. Cela révèle un dysfonctionnement profond dans la solidarité intergénérationnelle.
Quel regard la jeunesse actuelle porte-t-elle sur les aînés ?
Il est ambivalent. D’un côté, certains jeunes valorisent encore les aînés comme détenteurs de savoir. Mais de plus en plus, on observe une fracture culturelle : les jeunes voient parfois les personnes âgées comme dépassées, réfractaires à la modernité, voire responsables de l’état actuel du pays.
Qu’est-ce qui alimente ce fossé entre générations ?
La modernisation rapide, l’individualisme croissant, et le recul des valeurs communautaires. Mais aussi l’absence d’espaces de dialogue. Les jeunes évoluent dans un monde numérique, souvent à l’opposé du rythme et des repères des anciens. Et lorsqu’il y a peu d’écoute mutuelle, l’incompréhension s’installe.
Quelles en sont les conséquences sociales ?
La rupture du lien intergénérationnel affaiblit la transmission de valeurs, de mémoire et d’expérience. Elle isole les aînés, mais prive aussi les jeunes d’un repère. Sur le long terme, cela fragilise la cohésion sociale et crée une société déséquilibrée, où chaque génération avance seule.
Que dire du placement en maison de retraite dans certaines familles ?
Il peut répondre à des contraintes réelles, comme le manque de temps ou de moyens pour s’occuper d’un parent âgé. Mais souvent, c’est aussi un signe de désengagement affectif. Lorsqu’il n’y a plus de lien, ni de visite, la personne âgée se sent abandonnée.
Cela a-t-il un impact sur leur bien-être ?
Évidemment. L’isolement affecte leur santé mentale, crée de la dépression, accentue le sentiment d’inutilité. L’humain est un être de lien, encore plus dans la vieillesse où la vulnérabilité augmente.
Comment peut-on rebâtir ce lien intergénérationnel ?
Il faut des politiques publiques qui favorisent l’interaction entre générations, mais aussi des actions citoyennes. Intégrer les aînés dans les projets communautaires, encourager les témoignages dans les écoles, créer des espaces de dialogue… Et surtout, réapprendre à écouter.