Fondateur de DaStudy, plateforme éducative, et de Prouving.com, application de génération et retouche d’images, David Kenfack revient sur ses ambitions, les défis de l’écosystème et sa vision de l’avenir de l’IA sur le continent.
Vous êtes à la fois chercheur, entrepreneur et formateur. Comment parvenez-vous à concilier ces différentes casquettes ?
Ce n’est pas évident, parce qu’il faut à la fois faire des recherches, financer ces recherches, transmettre la connaissance et entreprendre. Cela demande d’aller chercher de la clientèle, de vendre des solutions, tout en portant des projets souvent autofinancés par mon équipe et moi-même. Quelques prix remportés nous ont apporté un soutien, mais l’essentiel de nos produits est financé par nous-mêmes. La clé, c’est une organisation rigoureuse et une discipline de travail stricte.
Vous parlez souvent de l’impact comme moteur. Quelles sont les valeurs qui guident vos projets ?
Je cherche avant tout à fournir un travail bien fait et à promouvoir le savoir-faire local. On a longtemps entendu dire que la technologie était réservée à l’Occident. Pour moi, il est essentiel que les Africains conçoivent et utilisent leurs propres solutions. Mes projets visent toujours à résoudre des problèmes concrets d’ici.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus aujourd’hui dans le domaine de l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle est vaste, mais ma passion va surtout vers l’IA générative et son usage dans l’éducation. Comment l’IA peut-elle aider l’homme à développer ses compétences, à accroître sa productivité et à ne pas perdre de temps dans des tâches répétitives ? C’est cette approche qui m’a conduit à lancer des solutions comme DaStudy.
Quels sont, selon vous, les plus grands défis de l’écosystème technologique africain ?
Le problème majeur reste la communauté. Nous n’avons pas encore ce réflexe de soutenir et d’utiliser nos propres solutions. Nous sommes plus ouverts à consommer des produits venus d’ailleurs qu’à faire confiance à nos innovations locales. Ce manque de solidarité technologique freine la croissance de l’écosystème africain, contrairement à ce qu’on observe en Chine, par exemple.
Comment voyez-vous l’évolution de l’IA en Afrique dans les prochaines années ?
Dans cinq à dix ans, je vois émerger des IA contextualisées, conçues à partir de données africaines. L’Afrique en a assez des modèles occidentaux qui ne nous représentent pas. Je crois que nous aurons nos propres modèles, valorisant nos réalités et intégrés dans de nombreux secteurs, pour rattraper une partie du retard face aux pays occidentaux.
DaStudy est l’un de vos projets phares. Comment le définiriez-vous aujourd’hui ?
DaStudy est une plateforme de partage de contenus éducatifs entre enseignants et apprenants. Elle permet de publier et consulter des documents, mais aussi d’interagir avec une IA générative capable de répondre à des questions dans près de 4 000 domaines. Depuis son lancement en 2019, la plateforme compte plus de 20 000 documents et environ 50 000 abonnés.
Quels ont été les principaux jalons de son évolution ?
Nous avons lancé DaStudy en mai 2019 et avons été lauréat du prix de l’institut français et de l’institut Goethe de Côte d’Ivoire parmi 20 projets en Afrique, dès décembre de la même année. Puis en 2020 pendant la crise du Covid par l’Organisation internationale de la francophonie. En 2021, nous avons été lauréats des Nations unies, puis avons reçu d’autres distinctions comme le prix « Afrique de demain » en 2022 et le prix de la meilleure chercheuse camerounaise en 2023 pour notre travail sur l’IA générative appliquée à l’éducation. On peut également citer le Premier prix national de l’innovation Technologique émis par le Ministère de la recherche scientifique et de l’innovation du Camerounn. Ce sont là quelques distinctions que nous avons reçu. Ces reconnaissances nous encouragent à continuer, même quand les difficultés financières nous ont parfois fait douter.
Qu’est-ce qui distingue DaStudy des autres initiatives du numérique éducatif ?
C’est notre maîtrise de l’IA générative et la pertinence de nos solutions. Nous sommes parmi les rares structures au Cameroun à développer ce type de technologie. Nous avons aussi su convaincre des PME grâce à nos outils B2B, comme les chatbots pour le service client ou l’analyse automatisée de CV avec Apply AI.
Vous avez lancé plus récemment Prouving.com. Quelle était l’idée derrière ce projet ?
Je voulais créer une IA de génération et retouche d’images contextualisée pour l’Afrique. Beaucoup d’outils sur le marché ne reflètent pas nos réalités. Prouving permet de générer des images en haute définition, rapidement, sans watermark, et adaptées à nos besoins. C’est utile pour les entrepreneurs, l’e-commerce, la communication visuelle, mais aussi pour des usages plus personnels comme les photos professionnelles ou la retouche de clichés anciens.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées dans ce projet ?
L’entraînement des modèles a été un vrai parcours du combattant. Il fallait des données africaines, des serveurs puissants et des financements que nous n’avions pas. Nous avons dû recommencer plusieurs fois, avec une équipe parfois épuisée. Mais nous avons tenu bon et aujourd’hui, nous proposons un outil compétitif, rapide et accessible.
Quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes qui se lancent dans le digital ?
De croire vraiment en eux, malgré les découragements de l’entourage. Et surtout de créer des solutions adaptées au contexte africain. Inutile de copier des fonctionnalités qui ne servent à personne ici. Il faut penser à l’agriculteur, à la vendeuse au carrefour. Enfin, il ne suffit pas de développer un bon produit : il faut aussi investir dans la communication pour qu’il soit connu.