Publié en 1988 sous le titre original « Nervous Conditions », puis traduit en français sous le titre « À fleur de peau », le premier roman de Tsitsi Dangarembga s’impose comme un jalon de la littérature africaine contemporaine. Écrivaine, cinéaste et militante féministe zimbabwéenne, elle y déploie une voix singulière et radicale.
L’intrigue se déroule dans la Rhodésie coloniale des années 1960. Tambu, jeune fille noire issue d’un village, voit sa destinée bouleversée par la mort accidentelle de son frère, jusque-là porteur des espoirs familiaux. Ce drame lui ouvre les portes d’une école occidentale, rare privilège pour une fille.
Ce choix marque le début d’un parcours où l’éducation devient à la fois levier d’émancipation et outil d’aliénation culturelle. À travers l’expérience de Tambu, Dangarembga met en évidence les tiraillements entre appartenance et acculturation, famille et ambition, tradition et modernité.
Le titre original, Nervous Conditions, traduit cette fracture intérieure comme une « névrose des peuples assujettis ». La puissance du roman réside dans sa voix narrative : lucide, sans concession. D’ailleurs, dès l’ouverture, Tambu affirme n’avoir pas pleuré la mort de son frère, une déclaration qui choque autant qu’elle révèle la dureté du contexte et la volonté de briser les silences imposés aux femmes.
La trajectoire éditoriale du roman est elle-même révélatrice : refusé au Zimbabwe, publié à Londres par une maison féministe, il rappelle le poids du patriarcat dans le champ littéraire. Sa reconnaissance ultérieure, jusqu’à figurer dans la liste de la BBC des 100 livres ayant façonné les imaginaires contemporains, consacre son importance.
Bien plus qu’un récit de formation, À fleur de peau est une œuvre pionnière, qui interroge l’héritage colonial et donne voix aux femmes africaines. Son intensité émotionnelle et sa portée critique en font un texte incontournable.