Longtemps cantonnée à l’image du vêtement du pauvre, la friperie divise encore sur les campus. Avec la peur d’être catalogués, certains étudiants cachent parfois l’origine de leurs trouvailles.
Le pantalon semblait irréprochable: propre, bien ajusté, presque neuf. Mais quand Sharifa l’a montré à son groupe d’amies, les moqueries n’ont pas tardé: « Si tu veux, on peut cotiser pour t’acheter un vrai pantalon. » L’étudiante en Lettres modernes anglaise s’est contentée de sourire. Pourtant, cette remarque lui est restée en travers de la gorge depuis ce jour. Comme beaucoup, elle aime fouiller les étals pour y dénicher de quoi enrichir leurs garde-robes à moindre coût.
Mais l’idée d’être associée à des habits « déjà portés » reste une gêne parfois constante. Dans l’imaginaire collectif, la friperie reste intimement liée à la pauvreté. « Quand tu es entourée d’amies habillées en boutique et que toi tu portes de la fripe, c’est comme si tu avouais que tes parents n’ont pas d’argent », confie Sharifa. Ces jugements, lancés le plus souvent dans le cercle familial ou amical, suffisent à créer un malaise. Certains préfèrent alors taire l’origine de leurs vêtements.
D’autres choisissent tout simplement d’éviter la friperie, quitte à se ruiner dans les boutiques classiques. Le complexe s’installe souvent dès l’enfance. Beaucoup se rappellent encore de ces phrases : « Regarde ses habits, ça a l’air vieux » ; « c’est le faux ! » ; « ça sent la friperie ! » Répétées, ces petites piques finissent par créer un réflexe de mythomane. « Il m’arrive de dire que c’est ma tante qui m’envoie des habits du Canada.
Ce n’est pas complètement faux, puisqu’elle en expédie de temps en temps, mais ce n’est pas toute la vérité non plus » confie une étudiante sous anonymat. Pourtant, la réalité économique ne laisse guère de choix : avec un budget serré, la friperie s’impose souvent comme la seule alternative pour certains étudiants. « Un jean de marque coûte plus cher qu’un mois de nourriture. Et je ne comprends pas vraiment la gêne qu’il y a, surtout ici en Afrique », s’étonne Audrey Enyam, étudiante en deuxième année de journalisme.
Beaucoup naviguent donc entre deux mondes : celui de la contrainte financière et celui du regard social. Résultat : des vêtements de fripes lavés, repassés, mais rangés au fond de l’armoire, à côté des “bons habits” achetés neufs pour les occasions où l’on se sait observé.